Hergé a-t-il, ou non, été facho ? Le Nouvel Obs pisse sa dénonciation
À l’occasion de l’expo Hergé qui se tient à Paris (Grand Palais, jusqu’au 15 janvier 2017), l’hebdo de la gauche friquée a chargé son renifleur de pissotières Arnaud Gonzague (connu pour un Bal des hommes, évocation glauque du Paris des années 30 où les invertis se shootent au nazisme) de faire la lumière sur les mauvaises fréquentations de Hergé…
Disons-le tout de suite : le lecteur n’apprendra rien en lisant ce pensum censé débusquer le « collabo, raciste et sexiste, ignoble colonialiste, fétide [?] raciste »… Même pas que Tintin fut le portrait de son ami Léon Degrelle, futur Commandeur de la Légion Wallonie sur le Front de l’Est et fils spirituel d’Adolf Hitler !
C’était pourtant l’occasion d’en rajouter une couche à coups d’anachronismes sur les idées politiques de Hergé car il ne sera désormais plus possible d’évoquer le créateur de Tintin sans utiliser de solides mises en garde politiquement correctes.
C’est ainsi que, du haut de son omniscience, le Gonzague du Nouvel Obs flingue Hergé comme le Gonzague du Bossu assassina le duc de Nevers, par traîtrise : « Hergé collabo ? Vrai ! »… Mais si notre pisse-copie ne plante pas ici de lame dans le dos, il assassine en traficotant les textes censés prouver ses dénonciations :
« Mais une lettre de juillet 1941 ne laisse pas de doute sur son engagement: “Je ne suis ni germanophile, ni anglophile. J’avoue cependant que la notion d’ordre nouveau me plaît. (…) Même si l’Allemagne choisissait (de nous réduire en) esclavage, j’aurais au moins la conscience tranquille, et je pourrais me rende cette justice (…) que je n’aurais rien fait pour empêcher cette collaboration de se réaliser.” »
C’est Richelieu qui affirmait : « Donnez-moi deux lignes de la main d'un homme, et j'y trouverai de quoi suffire à sa condamnation ! »
À lire cette prétendue correspondance de Hergé, il ne fait pas de doute que le dessinateur, acquis aux idées de l’Ordre nouveau, souhaite une collaboration permettant à l’Allemagne de réduire la Belgique –et sans doute le monde entier !– en esclavage ! Au chapelet haddockien d’insultes que Gonzague énumère en début d’article, il faut sans doute également ajouter « masochiste pervers » !
Mais qu’écrit vraiment Hergé à son ami Philippe Gérard (qui, avant de devenir le prophète ridicule Philipulus, avait servi de modèle à Flupke, l’immortel ketje de Bruxelles) ? Nullement un acte de soumission aveugle à l’occupant, mais une explication franche de son attitude légaliste et de ses attentes concrètes face à la situation de la Belgique : une espèce de leçon de Realpolitik, oserions-nous avancer (Gonzague aime tant les anachronismes même s’il s’en défend !), qui était d’ailleurs l’attitude prônée par les plus hautes instances de l’Etat.
« À tous tes reproches, je me contenterai de répondre ceci : j’essaie de garder mon sang-froid au milieu de ce déchaînement de passions et de partis-pris auquel nous assistons en ce moment. Voilà tout. Je ne suis ni germanophile ni anglophile. J’avoue cependant que la notion d’ordre nouveau me plaît. S’il était vraiment ce qu’on nous promet qu’il sera, je m’en réjouirais. Mais on peut supposer aussi que l’Allemagne ne cherche qu’à nous leurrer, et qu’elle nous considérerait comme des esclaves, si son hégémonie sur le continent lui restait acquise. Théoriquement, les deux choses sont possibles : collaboration ou esclavage. Eh bien, même si l’Allemagne choisissait l’esclavage, j’aurais au moins la conscience tranquille et je pourrais me rendre cette justice –supposer que mon opinion ait quelque importance– que je n’aurai rien fait pour empêcher cette collaboration de se réaliser. […] Mais toi, il faut que tu me lances aujourd’hui – oh ! par personnes interposées, bien sûr – les épithètes habituelles, dignes d’un patriote écœuré : traître, vendu, lécheur de botte ! C’est tout juste si tu ne me promets pas les douze balles réglementaires. Mais ça viendra… Ne peux-tu donc faire un petit effort pour comprendre que cette position dont je parlais ne signifie pas qu’il faille forcément et automatiquement crier Heil Hitler et s’engager sans plus attendre dans les Waffen SS ? Il s’agit uniquement de rester un honnête homme et, lorsqu’on nous dit, par exemple : Ils nous prennent tout, de répondre que c’est inexact. Non par germanophilie, non par léchage de bottes, mais par respect de la vérité qui même en temps de guerre, conserve ses droits. »
Paul Féval avait déjà décrit anticipativement notre Gonzague-gauche-caviar dans Le Bossu, son roman le plus populaire : « un esprit fort [qui] mentait avec une effronterie voisine de l’héroïsme ». En effet, contrairement à ce qu’il ose affirmer, Hergé ne désire nullement que « l’Allemagne nous réduise en esclavage » : il oppose au contraire (« collaboration ou esclavage »), à l’esclavage craint par son ami Philippe, la collaboration qui permettrait à l’Ordre nouveau de montrer qu’il est « vraiment ce qu’on nous promet qu’il sera ».
Car avant de décréter que l’idéologie de l’abbé Norbert Wallez, directeur du Vingtième Siècle qui
engagea Hergé en 1925, est « nauséabonde », peut-être serait-il nécessaire de s’interroger sur la nature réelle du national-socialisme qui parvint à sortir en un an l’Allemagne d’une ornière politique, économique et sociale bien pire que celle de la Grèce d’aujourd’hui ! Les réalisations fabuleuses du nouveau régime dans tous les domaines – politique, économique et social, bien entendu, mais aussi scientifique, technologique, environnemental, urbanistique, artistique,…– avaient de quoi faire rêver les peuples qui, soumis aux démocraties ploutocratiques, ne pouvaient qu’envier les réussites révolutionnaires d’une société ayant tourné le dos à l’usure de l’étalon-or…
Comment, sinon, le roi Léopold III eût-il encouragé la collaboration tous azimuts ? Comment, sinon, son plus intime conseiller, le président du parti socialiste de l’époque, Henri de Man, eût-il enjoint ses troupes d’embrasser l’idéologie du vainqueur dès après la victoire des armées hitlériennes (le 28 juin 1940, un mois tout juste après la capitulation belge) ?
« Ne croyez pas qu’il faille résister à l’occupant; acceptez le fait de sa victoire et essayez plutôt d’en tirer les leçons pour en faire le point de départ d’un nouveau progrès social. La guerre a amené la débâcle du régime parlementaire et de la ploutocratie capitaliste dans les soi-disant démocraties. Pour les classes laborieuses et pour le socialisme, cet effondrement d'un monde décrépit, loin d'être un désastre, est une délivrance. […] la voie est libre pour les deux causes qui résument les aspirations du peuple: la paix européenne et la justice sociale. La paix n’a pas pu sortir de la libre entente des nations souveraines et des impérialismes rivaux: elle pourra sortir d’une Europe unifiée par les armes, où les frontières économiques auront été nivelées. La justice sociale n’a pas pu sortir d’un régime se disant démocratique, mais où, en réalité, régnaient les puissances d’argent et les politiciens professionnels […]. Pendant des années, le bourrage de crâne des bellicistes vous a caché que ce régime [national-socialiste] avait réduit les différences de classes bien plus efficacement que les prétendues démocraties, où le capital continuait à faire la loi […]. Dans ce monde [national-socialiste], l’esprit de communauté prévaudra sur l’égoïsme de classe et le travail sera la seule source de la dignité et du pouvoir. L’ordre socialiste s’y réalisera, non point comme la chose d’une classe ou d’un parti, mais comme le bien de tous, sous le signe d’une solidarité nationale qui sera bientôt continentale, sinon mondiale. […] Préparez-vous à entrer dans les cadres d’un mouvement de résurrection nationale, qui englobera toutes les forces vives de la nation, de sa jeunesse, de ses anciens combattants, dans un parti unique, celui du peuple belge, uni par sa fidélité à son Roi et par sa volonté de réaliser la Souveraineté du Travail. »
La collaboration en laquelle croit Hergé est celle qui permettra l’avènement de l’Ordre nouveau et de ses bienfaits, celle –intellectuelle– de ses amis qu’il rejoint avec joie et enthousiasme au Soir, mais aussi nécessairement, celle –militaire– de Léon Degrelle et de la Légion Wallonie, qui ne ressortit certes pas à son tempérament mais dont il reconnaîtra le pur héroïsme.
Car l’Ordre nouveau s’inscrivait bien dans la droite ligne de ses convictions morales, faites de patriotisme intégral, de sens des responsabilités, d’amitié désintéressée, d’esprit de sacrifice,… Toutes dispositions qui l’animèrent toute la vie, mais que Gonzague traduit en « antiparlementarisme, antisémitisme, catholicisme ultraconservateur » et dont il exonère Hergé, « un blanc-bec de 18 ans [qui n’était pas] intellectuellement assez charpenté pour partager […] l’idéologie nauséabonde de Wallez » !
Affirmer qu’à 18 ans, au moment où il est engagé par l’abbé Wallez, Hergé était plutôt con (Con-zague prétend même que le diplômé de Saint-Boniface était « sans bagage scolaire » !) manifeste, une fois de plus, la fatuité du personnage. Mais même si le dessinateur s’exprima toujours de préférence par l’image, il nous reste un exceptionnel texte théorique de Hergé, véritable manifeste idéologique de l’artiste, rédigé à dix-sept ans, traduisant bien son idéal d’exigence et bien peu son « intelligence mal charpentée »…
« L’artiste a une très grande responsabilité dans ses œuvres et, avant de produire, il doit commencer par former sa vie, une vie exemplaire à tous points de vue. […] Parce qu’un artiste exprime dans ses œuvres un idéal qui est le sien. Par conséquent, si cet idéal est élevé, son œuvre s’en ressentira aussi. Si donc l’artiste a une vie saine et bonne, ses œuvres seront en général bonnes, tandis qu’un artiste, de talent peut-être, mais de mauvaise vie, produira des œuvres qu’on nommera chefs-d’œuvre, mais qui produiront beaucoup de mal. »
Voilà certainement qui explique qu’en ces temps où Léon Degrelle saccage les expositions soviétiques, prend résolument parti, au nom du Christ-Roi, pour les catholiques mexicains, dénonce les manœuvres économico-financières des affairistes américains et s’engage à balayer les banksters belges, financiers et députés corrompus de tous les partis politiques, Hergé ne se définit évidemment pas comme « facho » ou « collabo » au sens où il travaillerait au succès d’une Allemagne impérialiste réduisant les autres peuples en esclavage (ni –soyons également clair– d’une Allemagne raciste exterminant qui que ce soit), mais Hergé, encouragé par ce qu’il entend et apprend de ses amis, de ses maîtres à penser et des meilleurs patriotes, se plaît à croire aux bienfaits de l’Ordre nouveau se construisant sur les débris lamentables de la ploutocratie capitaliste pseudo-démocratique enfin anéantie.